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< Retour aux actualitésPorc Basque kintoa et piment d'Espelette
Le pie noir participe de la légende gastronomique basque.
Sauvé par une poignée de paysans résolus, il est même l'élément central de cette cuisine par Perico Legasse.
C'est l'histoire d'un cochon qui, du fait d'un particularisme frontalier, n'est ni espagnol ni français, mais tout simplement basque. Pour bien saisir l'originalité du phénomène, il faut remonter aux temps lointains où le royaume de Navarre s'étendait, des rives de l'Adour jusqu'à celles de l'Ebre, sur les deux versants des Pyrénées. A cette époque, l'actuel Pays basque ne constituait qu'une seule et même entité politique, sous l'autorité de la dynastie qui régnait à Pampelune depuis le IXème siècle. Il fut progressivement démantelé par les conquêtes espagnoles et françaises avant de perdre totalement sa souveraineté en 1512, lorsque Ferdinand II, "Roi Catholique" d'Aragon et de Castille, fit envahir la Navarre par les troupes du duc d'Albe. La monarchie navarraise ne conservera que ce que l'on appelle aujourd'hui la "Basse Navarre", autour de Saint-Jean-Pied-de-Port. En 1589, le dernier des Valois étant mort sans héritier, Henri III de Navarre, descendant de Saint Louis par son Père, Antoine de Bourbon, monte sur le trône de France sous le nom d'Henri IV. Ainsi les Bourbons porteront-ils le titre de roi de France et de Navarre, jusqu'à la chute de Charles X, en 1830. Voilà pour le contexte historique, mais revenons-en à nos cochons. En 1411, Carlos III "el noble", roi de Navarre, accorde "un droit de glandage pour les pourceaux du "pays quint" aux barons d'Espelette". Ce droit autorise l'élevage de porcs sur une aire bien délimitée en échange d'un cinquième de la production, la quinta (la quinte partie, soit 20%), pour la couronne. Ainsi ce territoire est-il appelé Quinto Real ou Pays Quint. Curieuse contrée, qui porte le nom d'une taxe payée en nature, faite de bois et de pâturages, où les animaux, vaches et cochons, évoluent encore par monts et par vaux, se moquant des frontières comme des Etats. L'originalité de la situation est que, en 2011, six siècles après d'édit royal de Pampelune, cette vallée est toujours sous statut particulier. Même s'il s'agit bien de la province de Navarre, le Pays Quint (ou Kintoa en basque) vit hors des normes. Huit familles basques de nationalité française y résident sous autorité administrative espagnole. Si elles paient leurs impôts fonciers au gourvernement autonome de Navarre, c'est Paris qui perçoit la taxe d'habitation. Elles déclarent les naissances à l'état civil espagnol, mais leurs allocations familiales sont versées par la France. Le courrier est distribué par la Poste, mais si un gorret provoque un accident sur la route, c'est la guardia civil qui intervient. Et tout le monde y retrouve ses petits, même une mère cochon. Ultime vestige de l'antique unité navarraise, ce statut fut confirmé en 1856 lors du traité de Bayonne, signé par Napoléon III et la reine Isabelle II.
Le secret du porc basque
Euskal xerria (prononcez éoucal chéria), ainsi que l'on dit "porc basque" en basque, est ici chez lui. Le nom exact de la race est "pie noir desAldudes"", un des villages navarrais, jouxtant le Pays Quint, où est installé le séchoir collectif à jambons, celui de Pierre Oteiza, ambassadeur du porc basque en France. On doit la survie de l'espèce à une poignée de héros fédérés au sein d'une association portant le nom de "Kintoa". Symbole qualitatif, ce label commercial garantit l'origine et l'authenticité de tous les produits issus du porc pie noir du Pays basque. Le pie noir ! Au Moyen Age, on le trouvait partout, dans les vallées et les villages, sur les collines et au pied des montagnes, errant à sa guise, au gré du relief et de la flore, en quête d'une nourriture sauvage dont il tirait la succulence de sa chair et son tempérament. Comme certains trésors de la ruralité européenne, il a failli disparaître, victime de la concurrence prétendument plus rentable des gros porcs roses de souche anglaise. En 1921, soucieux de préserver le standard du porc basque, des éleveurs décident de fixer un descriptif de la race établissant la taille, le poids, la physionomie, l'aspect et l'aptitude à la reproduction. De robe bicolore bien tranchée, rose au centre et noir aux deux extrémités, le porc basque ressemble à ses cousins "culs noirs" de Bigorre et du Limousin. D'où vient-il, d'ailleurs ce cochon ? Un peu comme les Basques, qui ne viennent de nulle part, et pour cause, puisque l'on sait, depuis peu, qu'ils descendent de l'homme de Cro-Magnon, il a, lui aussi, toujours été là. Sans doute provient-il d'un lointain croisement entre la coche celtique et une variété pyrénéenne du verrat ibérique. Hypothèse qui expliquerait le partage de sa robe en rose et noir. Cette rencontre serait-elle à mettre en parallèle avec la théorie qui dit que les Basques auraient tissé des liens avec la nation Celtibère, qui peupla le nord-ouest de la péninsule Ibérique avant la conquête romaine ? Quoi qu'il en soit, le pie noir participe de la légende basque. Certains sociologues considèrent, à juste titre, que si la langue basque venait à disparaître, la notion de peuple basque n'aurait plus de sens. Allons un peu plus loin - et ce ne sont pas les héroïques éleveurs qui nous démentiront - en soutenant que, sans son euskal xerria, le Pays basque ne serait plus tout à fait Euskal Herria ("Pays basque" en basque). Comme on dit dans la forêt d'Iraty, un seul hêtre vous manque et tout est dépeuplé.
Qui a sauvé le pie noir ?
Au début des années 80, des femmes et des hommes ayant compris que de la préservation de cette race et de ses traditions d'élevage dépendent de formidables enjeux environnementaux et une certaine idée de la paysannerie basque décident de s'unir pour créer une filière. Porteuse d'espoirs, l'idée prend. On compte aujourd'hui près de 70 élevages, d'Esnazu à Itxassou, où le porc basque retrouve ses lettres de noblesse. Dans leur ouvrage Pie noir du Pays basque, une race sauvée par une poignée d'hommes, Jean Weber et Pascal Rabot racontent la saga de cet animal et la détermination avec laquelle des agriculteurs courageux ont relevé ce défi pastoral. Un acte de résistance face au broyeur mondialisé. C'est la campagne basque et ses paysages, ses savoir-faire et ses savoir-vivre que ces patriotes de la terre veulent protéger de la banalisation, mais aussi des dérives mafieuses, polluantes et mercantiles vers lesquelles le productivisme et son agent, la FNSEA, entraînent la filière porcine. Sous la férule de Michel Oçafrain, président de la filière Kintoa et maire de Banka, au pied du Pays Quint, des familles basques se dévouent pour que cette tradition perdure, s'étende si possible au reste d'Euskal Herria et se transmette à la prochaine génération, afin que ce joyau de la bonne agriculture européenne devienne un exemple de salut. L'élevage du pie noir est la clé de voûte symbolique d'un édifice dont les parois représentent la diversité de la ruralité basque. Le succès ici rencontré, non seulement du point de vue économique et social, mais également culturel, prouve à quel point notre société prend chaque jour un peu plus conscience de l'urgence qu'il y a à sauver le patrimoine agricole et alimentaire que nos aînés nous ont laissé. C'est une question de survie. Et d'honneur.
A quand une AOC ?
En république française, le meilleur moyen de reconnaître et de perpétuer un patimoine est encore d'obtenir une appellation d'origine contrôlée, cette célèbre AOC qui définit et codifie l'authenticité d'un produit de terroir. Si le concept de terroir est typiquement français, c'est bien au Pays basque qu'il prend toute sa signification, car un peuple qui se bat pour rester lui-même et sauver sa langue sait mieux que quiconque l'importance d'une identité menacée. Le combat pour sauver le camembert de Normandie au lait cru est en effet aussi noble que celui qui entend perpétuer une façon de vivre et de parler. Notre porc basque aussi fait partie de ce trésor planétaire qu'il convient de préserver afin de le partager le plus longtemps possible avec le reste de l'humanité. Aussi les éleveurs du pie noir se sont-ils souciés d'obtenir une AOC. Pour Jean charles Arnaud, président du Comité national de l'Inao, dont dépend le classement du porc basque, tout contribue, sur le fond et sur la forme, à ce que le projet aboutisse : "Une aire géographique extrêmement précise, dotée d'un climat d'une douceur exceptionnelle, permettant l'évolution des cochons dans la nature, même au coeur de l'hiver, donc l'assurance d'une alimentaion exemplaire. Une antériorité avérée grâce à l'histoire du Pays Quint. Une race unique, aux vertus gustatives admirables, et une finition artisanale affirmant la spécificité du produit. La définition même de la parfaite AOC." Une première demande avait échoué, du fait que "porc basque" est une formule générique trop large pour pouvoir bénéficier d'une AOC, d'autant qu'elle est déjà utilisée par une industrie agroalimentaire refusant de renoncer à ce label lucratif. Quant au nom "pie noir", s'agissant d'une race, il ne peut entrer dans l'intitulé d'une appellation d'origine. Le syndicat porteur du dossier proposa donc Kintoa, mais ce terme manque d'ancienneté historique, élément indispensable pour légitimer une AOC. La solution viendra donc d'une synthèse des deux idées, à savoir : "Porc basque Kintoa", expression adéquate puisqu'elle résume bien la notion de "cochon de race pie noir du Pays basque élevé sur le territoire du Pays Quint". A bon entendeur, salut. Comme l'appellation d'origine est soumise depuis 2002 à la réglementation européenne, une AOC française n'est validée que si elle reçoit l'aval de Bruxelles au travers d'une AOP (appellation d'origine protégé) délivrée par la Commission européenne; On aurait pu croire que la France garderait ses propres AOC nationales, mais cette subsidiarité lui a été refusée. Il faut donc désormais se plier aux critères européens, certes respectables, pour savoir ce qui mérite d'être classé ou pas. Seul hic, le lobby agroalimentaire est si puissant à Bruxelles qu'une AOP jugée trop contraignante pour le marché peut être refusée à un produit exploité industriellement. Si cela ne tenait qu'à José Manuel Barroso, il y a belle lurette que le roquefort ou le comté seraient fabriqués avec du lait en poudre néo-zélandais...
Le goût du Kintoa
Si tout est bon dans le cochon, c'est encore meilleur dans le porc basque Kintoa. Après avoir dégusté un jambon ou une épaule de vingt-quatre mois d'affinage, salée, puis séchée à l'air des Pyrénées sous influence atlantique, les gastronomes les plus avisés conviennent des vertus exceptionnelles de ce noble produit. Fondateur de l'Institut du goût, Jacques Puisais considère pour sa part que le kintoa est "l'une des plus subtiles expressions sensorielles du règne porcin". De là à comparer l'élégance de sa chair et la finesse de certain jambon à ce que l'on apprécie dans le porc ibérique pata negra ou dans le parme et le san daniele italiens, il n'y a qu'un pas que nous ne franchirons pas, car en gastronomie comparaison n'est pas raison. Chacun sa typicité, et les cochons seront bien gardés.
Tout aussi délectables que ceux destinés à la salaison, les autres morceaux du pie noir, côtes, échine, filet, jarret, travers nous ont pris aux tripes. Tous les soins, toutes les attentions portés à l'élevage, mais aussi les atouts organoleptiques de la race apparaissent alors dans un festival gustatif reflétant au gland près ce que son environnement unique apporte au porc basque kintoa. Un cochon que a le goût de son paysage.